Journée de la Femme, ou conscientisation d’une enculturation négative
La prochaine Journée de la Femme me donne à nouveau l’occasion de discuter de conscientisation de notre enculturation.
Les célébrations, les cérémonies, dans toutes les sociétés ou cultures, ont souvent un sens éclairé. Mais dans de nombreux cas elles ne font que perpétuer une enculturation passive sans proposer une pratique de discernement éclairé, ni une émancipation intellectuelle.
Je ne suis pas particulièrement friand des célébrations, je ne célèbre les anniversaires que très rarement, mais je porte souvent une attention particulière à cette journée dite « pour les femmes ».
Néanmoins je ne la célèbre plus car elle trop connotée « assignation de genre ».
Evolution réflective
Il fût un temps où je prenais cette invitation à célébrer le genre féminin au pied de la lettre. Ma pensée étant empreinte de féminisme il était pour moi important d’y porter attention. Puis, au fil des années ma pensée a évolué. La principale évolution n’est pas liée à des lectures, mais d’avantage à des prises de conscience personnelles.
Ma pratique de la Méthode Feldenkrais y est bien entendu pour quelque chose, mais cette pratique est enrichie de la conscientisation de mes attitudes, au quotidien.
Elle s’est aussi enrichie de mes prises de position, de mes prises de parole contredisantes. Non plus en contredisant animé par la colère et une envie de prouver que j’ai raison, mais en pleine conscience.
Je n’ai que très peu d’influence sur la marche du monde et ne me fais pas d’illusion sur mes capacités à influer sur tel ou tel changement. Mais je me refuse de m’empêcher de commenter ou de contredire, car “Qui ne dit mot, consent”. Et je ne consent pas, je n’abdique pas, devant l’injustice, quelles que soient ses formes. Je me laisse le droit d’exprimer ma désapprobation ou ma colère, car “Qui ne dit mot, consent”.
Genre ou genre
Il y aura t’il un jour où nous vivrons dans un monde dans lequel nous n’aurons plus à faire la distinction entre homme et femme, dans lequel ces deux mots seront bannis des dictionnaires. Un monde dans lequel nous n’aurions plus à dire Monsieur ou Madame, quand nous nous adressons à une personne ? Un monde dans lequel nous aurions un autre choix que d’écrire « il » ou « elle » quand nous écrivons ?
Si un tel monde existe un jour, il est plus que probable, vu mon âge, que je n’aurais jamais l’opportunité d’en savourer ni l’atmosphère ni les bénéfices!
Contrairement à mâle et femelle qui sont des qualificatifs objectifs liés à des attributs naturels, Homme et Femme ne sont que des constructions sociales. Nos attributs naturels ne nous définissent pas en tant qu’homme ou femme, et encore moins en tant que personne. Mais la société, notre culture, notre éducation, ce que l’on appelle notre enculturation, le font pour nous. Est-ce à dire que nous devrions nous y résoudre, y succomber ou nous y conformer ?
Est-ce à dire que nous devrions abandonner l’idée de répondre, pour nous-même et par nous-même, à cette question:
“Que faisons-nous de ce qui a fait de nous qui nous semblons être?”
Ce que Jean-Paul Sartre exprimait par:
« L’important ce n’est pas ce qu’on a fait de nous, mais ce que nous-mêmes nous faisons de ce qu’on a fait de nous ».
(dans « Saint Genet, comédient et martyr » (1952))
Mon propos ici n’est pas d’envisager une résistance guerrière, ou une opposition mue par la colère, mais de prendre conscience de comment ce biais cognitif nous conduit, nous confine dans un système de pensée, et au final empêche notre émancipation.
Femme, Homme
J’aimerais parler de ce sujet sans utiliser ni le mot homme, ni le mot femme, car ils sont, vous l’avez bien compris, très réducteurs. Mais je vais les utiliser dans ce qui suit, en conscience de leur imperfection et en étant conscient qu’ils ne sont que des définitions construites et qu’ils ne reflètent en rien une réalité naturelle. Mais aussi, parce qu’aujourd’hui je n’ai pas d’autre vocabulaire.
Il va de soit, que quel que soit notre genre (assigné), nous avons tous une part dite “féminine”, et une autre dite “masculine”.
En utilisant ces qualificatifs sociaux, nous pouvons dire que chacun d’entre nous, quelle que soit son assignation de genre, a en lui ou en elle une part féminine et une part masculine. Chacun à des degrés et proportions divers . Il en est ainsi car la nature est ainsi faite, que ce soit dans le monde animal ou végétal, rien n’est blanc, rien n’est noir, rien n’est symétrique, rien n’est fini, rien n’est défini…
Si vous me demandez si je me sens plus femme ou plus homme, je vous dirais que je ne sais pas. Ces concepts n’ont pas d’existence ni d’espaces ni dans mes émotions, ni dans mes sentiments. J’ai des organes génitaux mâle et je suis attiré par les organes femelles, c’est un fait, mais je ne me reconnaît ni dans l’adjectif homme, ni dans l’adjectif femme.
Déconstruction active
Donc dans un monde parfait je ne parlerais pas du Jour de la Femme. Or, de nos jours, il est un fait incontestable que, dans quasi toutes les sociétés ou cultures, les femmes sont discriminées et loin d’être traitées à égalité avec les hommes.
Si nous voulons tenter de réduire les injustices, il nous faut nous attaquer à ce biais cognitif qui nous affecte tous, et particulièrement nous les hommes. Car nous sommes, nous les hommes, consciemment ou inconsciemment la source des souffrances induites par cette inculturation de genre.
Donc en tant qu'”homme”, si vous voulons vivre en être mature et libre, si nous nous sentons concernés par cet arbitraire, il nous faut porter notre attention sur les implications de ces biais de genre et prendre conscience, dans toutes les situations de la vie, de nos comportements et actions dans lesquels nous ne nous comportons pas comme des êtres valorisant l’équité de sexe et de genre.
Si nous voulons nous émanciper de cette enculturation négative et destructrice, nous devons tout d’abord en prendre conscience dans tous les moments de notre vie.
C’est un exercice mental du quotidien, enrichissant et intellectuellement très avancé.
Les exercices de prise de conscience, qu’ils s’appellent introspection, méditation, ou Prise de Conscience par le Mouvement ne peuvent se réduire à l’exploration de nos émotions ou de notre bien-être physique ou mental.
Ils doivent aussi inclure la conscientisation de nos biais d’enculturation, car ils définissent nos actions, tout autant que nos émotions et sentiments . Et plus encore, ils peuvent aller jusqu’à influencer ou déformer nos sentiments et émotions.
Donc d’avantage que de remercier, complimenter ou cajoler celles que l’on a labelliser « femme » pendant une journée, je propose que nous (ceux que l’on a décidé d’appeler “homme”) nous portions une attention particulière à toute nos habitudes, tics, ou comportements qui sont en contradictions avec nos valeurs d’équité.
Dans la pratique
Les détails comptent, j’ai par exemple abandonner l’utilisation de « Monsieur « ou « Madame » quand je m’adresse à une personne. Quand je dis bonjour, je dis simplement « Bonjour » en lieu de « Bonjour Madame » (j’ai abandonné depuis longtemps l’usage de « Mademaoiselle » qui est encore plus discriminatoire). Et, à ma grande surprise, je me suis rendu combien cela changeait grandement l’expérience de la rencontre avec cette personne.
Voici ici quelques exemples de pratique de prise de conscience, logée dans le quotidien de chacun, dans lequel il n’est nul besoin d’aller en classe, ou de faire appel à un facilitateur pour les expérimenter et les pratiquer . Quand vous êtes en relation, pensez à retenir votre parole, et portez votre attention à vous-même, en amenant à votre conscience toutes ou partie de ces questions :
- Puis-je m’entendre dire « Vous les femmes… »
- Suis-je capable de m’écouter dire: « En tant qu’homme…. » ou les « …les hommes se doivent de… »
- Quand je regarde une publicité, par quoi suis-je attiré, par quoi ne suis-je pas intéressé ?
- Quand j’écoute un conférencier homme ou une conférencière femme, ai-je la même qualité d’écoute et de jugement?
- Quand je demande un service, est-ce que j’exprime mon besoin de la même façon auprès d’un homme et auprès d’une femme?
- Si quand j’exprime ma colère envers une femme, et qu’à ce moment là j’imagine que cette personne est un homme, quelles seraient les différences ?
- etc…